Notre libre arbitre est-il aussi libre qu’on le croit?

Nous pensons être libres de décider et de choisir nos actes. Est-ce vraiment le cas ? Une série d’expériences neuroscientifiques jette le trouble, notre libre arbitre ne serait pas si libre que cela dans les faits… cela représenterait un problème majeur pour les fondements de notre société.

Le libre arbitre opposé au réflexe

Chacun a la notion intuitive de ce qu’est le libre arbitre, nous faisons tous une multitude de choix, plus ou moins importants, chaque jour.

Sur le plan biologique, le libre arbitre peut être défini comme une action volontaire, à l’opposé du réflexe. Les réflexes empruntent des chemins neuronaux simples et directs, alors que l’action volontaire fait intervenir de nombreuses aires cérébrales.

C’est pour étudier les liens entre l’activité cérébrale du cortex et les décisions de libre arbitre que le chercheur américain Benjamin Libet (1916-2007) a imaginé dans les années 80 une expérience devenue depuis fameuse et controversée.

L’expérience fondatrice de Benjamin Libet

Cette expérience réalisée en 1983 place le sujet devant une horloge qui défile rapidement. Il lui est demandé d’appuyer sur un bouton quand il veut. Il doit également retenir le nombre indiqué par l’horloge au moment de sa prise de décision. Durant l’expérience, des électrodes placées sur le crâne enregistrent l’activité cérébrale du sujet.

Ce dispositif permet de mesurer précisément trois points importants du processus:

  1. le moment où la décision d’appuyer est prise
  2. le moment où votre cerveau commence à s’activer
  3. le moment où le sujet appuie sur le bouton

Ainsi, Benjamin Libet fait une découverte spectaculaire : l’activation cérébrale précède la décision consciente.

En effet le cerveau s’active plusieurs centaines de millisecondes avant même la prise de décision du sujet. C’est ce qu’illustre le schéma ci-dessous, où la courbe rouge symbolise la mesure d’un signal électrique cérébral appelé potentiel de préparation motrice.

Interprétée de manière brute, l’expérience de Libet semble condamner le libre-arbitre :

vous avez l’impression de décider d’appuyer à un certain moment, mais votre cerveau a déjà décidé depuis presque une demi-seconde

Comme on peut s’en douter, cette expérience possède plusieurs points faibles que les spécialistes n’ont pas été longs à relever.

  • Les mesures inexactes : puisque l’on parle ici d’un écart de seulement quelques centaines de millisecondes.
  • L’estimation du moment de décision par le sujet lui-même n’est certainement pas très fiable : elle est subjective.
  • Le signal électrique relevé dans le cerveau pourrait être simplement un signal « préparatoire » : oui le cerveau s’active  mais ce n’est pas ce qui détermine la décision qui va être prise.

Des critiques de cette expérience sont largement possibles. Cela permet de se rassurer quant à l’existence réelle de notre libre-arbitre. Tout va bien donc… jusqu’en 2008 seulement, quand une nouvelle expérience réalisée s’affranchit de la plupart de ces critiques.

L’expérience vraiment troublante avec l’IRM

Dans cette nouvelle expérience, plusieurs points sont différents du protocole de Benjamin Libet. Tout d’abord, le sujet dispose de 2 boutons, un dans sa main gauche et un dans sa main droite. Il peut appuyer quand il le souhaite, soit à gauche soit à droite. Cette fois l’activité cérébrale du sujet est visualisée par IRM. Cela permet d’observer simultanément l’activité de tout un ensemble d’aires cérébrales.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les résultats de cette expérience sont perturbants. D’une part, l’IRM révèle qu’une activité cérébrale préparatoire existe 7 à 10 secondes AVANT que le sujet ne prenne sa décision d’appuyer.

D’autre part et encore plus troublant : cette activité cérébrale permet dans une certaine mesure de prédire de quel côté le sujet va appuyer.

Oui, vous avez bien lu, plusieurs secondes avant que vous soyez conscient de choisir, votre cerveau a déjà décidé entre droite et gauche, et l’IRM peut révéler le côté qui sera choisi!

Pour modérer un peu ce résultat apparemment catastrophique pour notre libre-arbitre, il faut noter que la prédiction faite par l’IRM est loin d’être infaillible, puisqu’elle fonctionne au mieux dans 60% des cas, ce qui est significativement mieux que le hasard, mais reste tout de même limité.

Quelle conclusion raisonnable tirer de ces expériences ?

Sachez qu’il n’existe pas de consensus chez les scientifiques et les philosophes, quant à l’interprétation de ces expériences. Pour certains, le libre-arbitre n’existe tout simplement pas : « Nous croyons choisir mais il n’en est rien ».

Pour d’autres, au contraire, ces expériences n’ont aucune valeur et notre libre arbitre s’exerce à chaque instant.

Une position intermédiaire raisonnable serait d’admettre que ces expériences montrent au moins trois choses :

  1. Nos intentions ne sont pas systématiquement à l’origine de nos actions.
  2. Les processus inconscients jouent peut être un plus grand rôle que nous ne pouvions le penser.
  3. La conscience d’une décision se construit au cours du processus de décision, pas à son origine.

Le compromis rassurant

Comme cette conclusion prudente semble quand même en mettre un coup à notre vieille notion de libre-arbitre, une manière de se rassurer serait de considérer ceci:

notre cerveau prépare nos décisions en avance par rapport à notre conscience, mais il nous laisse jusqu’au dernier moment un droit de veto

Il semblerait qu’une des fonctions du cerveau soit justement de pouvoir inhiber certaines actions décidées et préparées en amont. Donc jusqu’au dernier moment, on aurait le choix de ne pas faire. C’est ce que les anglo-saxons appellent le « free won’t », par analogie au libre-arbitre appelé « free will ».

La position du faux-semblant permet de rassurer tout le monde

Pour d’autres philosophes comme Dan Dennett, ces expériences sont correctes, mais elles ne sont pas incompatibles avec le libre-arbitre. Ces philosophes adhèrent au « compatibilisme ».

Dans cette notion donc :  la réalité est totalement déterministe mais… le libre-arbitre existe quand même. Cette contradiction flagrante ressemble beaucoup à une posture de façade. Comment la comprendre? S’il était admis que le libre-arbitre n’existe pas : les conséquences pour la société seraient catastrophiques.

C’est donc bien une position de raison que certains philosophes adoptent, rien de très scientifique certes, mais une position socialement acceptable.

Les fondements de la société et l’absence de libre-arbitre

Admettons que la démonstration scientifiquement soit faite : le libre-arbitre n’existe pas. Ce sont alors les fondements mêmes de notre société qui s’effondrent totalement. En effet toutes nos lois et notre droit reposent sur la notion de responsabilité individuelle : nous sommes responsables de nos actes car nous sommes libres de les accomplir ou pas.

D’ailleurs en droit, pour être puni d’un crime, il faut qu’il y ait à la fois l’intention et l’action. La pensée n’est pas un crime, donc si vous avez juste l’intention de commettre un forfait, on ne peut pas vous condamner pour ça. Bien qu’aujourd’hui cette affirmation soit quelque peu ébranlée par les récents événements, puisque dans le cas de la préparation d’actes terroristes, on peut condamner avant même que l’acte terroriste n’ait lieu.

Réciproquement, si quelqu’un commet un crime mais est jugé irresponsable, il ne sera pas condamné. Donc si le libre-arbitre n’existe pas, nous sommes tous irresponsables de nos actes et toutes nos structures juridiques s’effondrent!

Pas de libre arbitre : plus de modèle social stable

Le sujet est grave, toutes ces conséquences ont amené Dan Dennett à mettre en garde la communauté scientifique de ne pas trop faire d’annonces intempestives au sujet des expériences réalisées sur le libre-arbitre.

Personnellement, j’ai eu l’envie de vous prévenir car la controverse existe. J’ai donc fait le choix de rédiger cet article pour informer sur le sujet, à moins que ce ne soit mon cerveau qui ait fait ce choix pour moi… car je pense que cette société qui nous réunit n’est pas un modèle fini et présente des incohérences certaines qu’il serait bon de débattre, dans un premier temps.

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