Le manque d’amour est-il mortel ?

Pour un enfant, le manque d’amour et de contact physique sont préjudiciables, provoquant des retards de développement, jusqu’à l’arrêt total de la croissance, puis la mort. Des orphelinats ont vu la quasi totalité de leurs pensionnaires disparaître ainsi, malgré la nourriture et les traitements médicaux distribués. Cette carence affective n’est cependant pas une fatalité. Des enfants adoptés ont pu remonter la pente grâce à l’amour de leur parents adoptifs. C’est le cas de cette petite fille, dont la maman nous raconte l’histoire…

Photo d’illustration, les personnages ne sont pas ceux décrits dans le texte

L’auteur du texte original en anglais


Inês Varela-Silva

Maître de conférences en biologie humaine à l’Université de Loughborough, Royaume-Uni – voir son CV –
« Je suis une biologiste de l’humain avec un vif intérêt pour la santé dans le monde et le bien-être tout au long de la durée de vie. Mon domaine de recherche porte sur la croissance de l’enfant et la santé dans les pays à faible revenu, et chez les enfants souffrant de la pauvreté et la discrimination. J’utilise une approche bio-culturelle dans mes recherches, ce qui met en perspective les effets de la biologie et de la culture symbiotique sur les êtres humains. »

J’ai commencé à m’intéressée aux orphelinats il y a 12 ans, pas vraiment à cause de mon travail de biologiste, mais à cause de ma fille. Elle est née en 2004 et a vécu ses 14 premiers mois de sa vie dans un orphelinat en Chine.

Je connais bien les travaux de recherche sur les préjudices physiques et psychologiques présents dans des milieux sociaux défavorisés. Les orphelinats font – sans aucun doute possible- partis de cette catégorie ainsi que d’autres endroits tels que les camps de réfugiés et certains hôpitaux où les enfants manquent de contact étroit et d’attention. Les carences peuvent êtres liées au manque de nourriture, aux maladies, aux manque de soins et à la maltraitance des enfants. Cependant, je dirais que le manque d’amour peut être tout aussi mortelle.

Quand j’ai commencé mes recherches sur la santé des enfants dans les orphelinats, j’ai lu les œuvres classiques du pédiatre Harry Bakwin, du psychologue John Bowlby et le psychiatre Harry Edelston.

Au début du 20e siècle, aux États-Unis ainsi qu’au Royaume-Uni, les taux de mortalité chez les nourrissons placés dans les orphelinats, crèches et hospices étaient dans certains cas, proches de 100% ! Des documents d’archives du London’s Foundling Museum attestent de cette dure réalité. En outre, dans les années 1940, le travail du psychanalyste René Spitz a relevé des proportions de mortalité infantile s’élevant à 1/3 des pensionnaires; et parmi les bébés survivants, des pourcentages élevés de dysfonctionnements cognitifs, comportementaux et psychologiques.

La plupart de ces décès ne sont pas dus à la famine ou de la maladie, mais à une carence affective et sensorielle sévère, en d’autres terme : au manque d’amour. Ces bébés ont été nourris et traités médicalement, mais ils ont été complètement privés de stimulation tactile et d’affection, lesquelles sont d’une importance capitale.

L’importance du toucher

Le toucher est fondamental pour le développement de l’être humain et pour sa survie. Les recherches menées par Ruth Feldman et Tiffany terrain ont montré les effets positifs induits par le contact peau-à-peau chez les bébés prématurés et, que ces ces effets sont encore actifs après dix ans. Les gains sont importants au niveau du développement neurologique, le cerveau gagne en volume, le contact physique est largement impliqué dans le développement mental des bébés prématurés.

Les nourrissons dans les orphelinats peuvent être privés de contact, d’attention individuelle, et d’amour. Cela se produit non pas parce que tous les orphelinats sont des endroits terribles (bien que certains d’entre eux le soient), mais parce qu’il y a généralement trop de bébés à prendre en charge pour le personnel disponible.

Dans le cas des hôpitaux en Europe et aux États-Unis, durant la première moitié du 20e siècle, les infirmières étaient obligées de couvrir leurs visages avec un masque chirurgical et avaient pour consigne de ne pas interagir avec les bébés. On n’autorisait pas les parents et membres de la famille à leurs rendre visite librement, car on voulait ainsi empêcher la propagation des infections pour garder les nourrissons en bonne santé. Cependant, au lieu de s’améliorer, l’état de santé des enfants empirait.

Bakwin comprit que les consignes de prise en charge étaient préjudiciables au bien-être des enfants. Il déclara :

L’échec du développement des enfants dans les institutions est due à une carence affective.

Le terme « retard de croissance » est actuellement utilisé comme un terme générique qui englobe les conditions amenant à une misère affective et pouvant provoquer jusqu’à la mort. C’est un problème de santé majeur que l’on observé aussi bien dans les pays riches que dans les pays pauvres. Le phénomène est plus répandue là où le manque de ressources humaines empêche les bébés de recevoir une stimulation émotionnelle et sensorielle (ou de l’amour) au quotidien.

L’histoire de ma fille

Les rapports de notre agence d’adoption nous garantissent que les enfants étaient bien pris en charge, nourris de manière appropriée et disposaient de jouets. Mais quel niveau de stimulation sensorielle ont-ils reçu? Nous savions que les bébés étaient formés très tôt à tenir eux-mêmes leur biberon. Il n’était pas possible de disposer d’un personnel soignant pour chaque enfant pendant l’alimentation.

Nous nous sommes enfin envolés pour la Chine le jour de l’adoption. Notre fille semblait être en bonne santé. Elle s’est vite adaptée à nous. Elle appréciait visiblement notre attention à son égard et mangeait tout ce que nous lui donnions. Cependant, le jour où nous l’avons tenu pour la première fois, elle était plus petite que 90% des bébés filles de son âge. Les effets d’une petite taille à cet âge peuvent persister durant la vie entière. Ils sont généralement associés à une mauvaise santé dans l’avenir, favorisant le risque d’obésité et de maladies cardiovasculaires.

Une fois rentrés chez nous, nous étions certains que l’amour et les contacts attentionnés étaient ce dont elle avait le plus besoin. Trois mois plus tard, encore 75% des filles de son âge étaient plus grandes qu’elle. Aujourd’hui, à 11 ans, seulement 50% sont plus grandes. Ceci confirme les résultats des recherches à l’ échelle internationale, ayant montrés un rattrapage de croissances pour les enfants adoptés dans des orphelinats.

Lorsque la privation affective et le manque d’amour sont observés, la croissance physique ralentit et peut même s’arrête totalement. Le corps entre dans un mode de survie où les fonctions physiologiques vitales de base sont conservées au dépend du développement physique, mental et social. Plus l’enfant est dans ce mode de survie, plus les effets négatifs seront persistants. Une fois qu’un enfant est adopté et qu’il reçoit amour, soins et que la stimulation augmente; le corps sort de son mode de survie et va commencer sa convalescence.

Diagramme de croissance de notre fille

Mon mari et moi avons étudié l’anthropométrie. Les mensurations fournissent des informations biomédicales précises sur la santé et l’état nutritionnel. Nous mesurons notre fille deux fois par an et comparons les résultats avec les références de l’OMS -Organisation Mondiale de la Santé. Mais nous nous ne faisons pas une obsession de ces mesures.

Notre fille est en pleine santé et travaille bien à l’école dans les matières générales ainsi qu’en sport et en musique. Nous sommes maintenant des parents heureux de la voir entrer dans l’adolescence.

L’expérience de notre fille reflète celle de milliers d’autres bébés adoptés dans des familles aisées et pleines d’amour. Sensibiliser davantage sur ce sujet est un pas dans la bonne direction, qui peut contribuer à ce que d’autres enfants orphelins voient une issue heureuse dans leur vie, comme notre fille.

Source en anglais : theconversation.com

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